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Full text of "Inauguration de l'Institut Pasteur le 14 novembre 1888 en présence de M. le Président de la République : compte rendu"

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INAUGURATION 


DE 


T/INSTITUT  PASTEUR 


8  JAN  89j|  INAUGURATION 

L'INSTITUT  PASTEUR 


Le  14  novembre  1888  a  eu  lieu  l'inauguration  de  rinslilul  Pus- 
leur,  situé  rue  Dulot.  Les  maisons  voisines  s'étaient  pavoisées  comme 
pour  une  fête  nationale.  Des  trophées  de  drapeaux  ornaient  la  l'açade 
de  l'Institut  Pasteur,  bâti  en  briques  et  en  pierres,  dans  le  slyle 
Louis XIII.  On  lit  sur  le  fronton  :  «  Souscriptionpubliquel888.  »  Touten 
étant  monumental,  l'aspect  de  rédifice  est  simple,  sans  ornementation 
et  sans  sculpture.  On  accède  au  bâtiment  principal,  qu'une  grille  et  un 
terre-plein  de  gazon  séparent  de  la  rue,  par  dix  marches  qui  condui- 
sent à  une  grande  porte  d'entrée.  Une  galerie  intérieure  relie  ce  bâti- 
ment aux  deux  ailes  où  seront  installés  le  service  du  traitement  de  la 
rageettous  les  laboratoires  d'enseignement,  de  recherches  et  d'études. 

Dès  midi,  les  portes  étaient  ouvertes.  M.  Pasteur,  qui  avait  à  ses 
côtés  son  fils,  secrétaire  de  l'ambassade  de  France  auprès  du  Quirinal, 
et  son  gendre,  M.  Vallery-Radot,  se  tenait  sur  le  seuil  de  la  salle 
d'inauguration,  située  à  gauche  du  perron,  et  recevait  les  invités. 
L'illustre  savant  portait  le  grand  cordon  de  la  Légion  d'honneur  et  la 
plaque  de  grand-croix  de  Sainte-Anne  de  Russie.  La  salle,  décorée  de 
drapeaux  tricolores,  pouvait  contenir  six  cents  personnes.  Dans  le  fond, 
se  dressait  une  large  estrade  dominée  par  le  buste  de  la  République. 
A  droite  et  à  gauche  s'élevaient  les  bustes  de  deux  grands  souscripteurs  : 
le  tsar  et  l'empereur  du  Brésil,  puis  entre  les  fenêtres,  les  bustes  de 
M.  le  baron  de  Rothschild  et  de  M"""  Boucicaut.  Deux  socles  étaient 
réservés  pour  les  bustes  de  M.  le  comte  de  Laubespin  et  de  M""  Fiirtado- 
ITeine. 

A  une  heure  et  demie,  M.  le  Président  de  la  République,  accom- 
pagné du  général  Brugèrc  et  de  deux  officiers  d'ordonnance,  arrivait 
en  landau  devant  le  perron.  Il  était  salué  par  l'hymne  national 
exécuté  par  la  musique  de  la  Garde  républicaine.  M.  Pasteur,  après 
avoir  descendu  les  marches  pour  aller  au  devant  de  M.  le  Présidenlde 


6  INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 

la  République,  le  conduisit  dans  un  salon  d'uUenle  où  s'éLuil  n-uni  le 
cortège  officiel  composé  de  :  M.  Méline,  président  de  la  Chambre  des 
députés;  M.  Floquet,  président  du  Conseil  des  ministres;  M.  Lockroy, 
ministre  d(!  l'instruction  publique;  M.  Peytral,  ministre  des  finances; 
M.  Pierre  Legrand,  ministre  du  commerce;  M.  Vielte,  ministre  de 
l'agriculture;  M.  Bourgeois,  sous-secrétaire  d'Etat  du  ministère  de 
l'intérieur;  M.  Poubelle,  préfet  de  la  Seine;  M.  Lozé,  préfet  de  police. 

Le  comité  de  l'Institut  Pasteur  était  représenté  par  M.  Bertrand, 
président,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  des  sciences,  membre  de 
l'Académie  française,  MM.  Camille  Doucet,  JulesSimon,  H. Wallon,  Dela- 
borde,le  baron  A.  de  Rothschild,  Christophle  et  le  docteur  Grancher. 

Ainsi  formé,  le  cortège  fît  son  entrée  dans  la  salle  et  monta  sur 
l'estrade  où  des  places  avaient  été  réservées  aux  sénateurs  et  aux 
députés,  parmi  lesquels  on  remarquait  :  MM.  Léon  Say,  Berlhelot,  de 
Marcère,  le  comte  de  Laubespin,  Devès,  Jules  Ferry,  Henri  Brisson, 
Spuller,  Lévêque,  Ribot.  Venaient  ensuite  :  MM.  Le  Guay,  sous- 
gouverneur  du  Crédit  Foncier  de  France  ;  Jourde,  directeur  du  Siècle; 
Palinot,  directeur  du  Journal  des  Débats;  Reinach,  directeur  de  la 
République  Française  ;  Liard,  directeur  de  l'enseignement  supérieur: 
Monod,  Lavisse,  Peyron,  Collin,  Dujardin-Beaumetz,  directeur  général 
du  service  de  santé  des  armées,  E.  Tisserand,  directeur  de  l'agriculture. 

Au  premier  rang  des  invités,  et  face  à  l'estrade,  avaient  pris  place 
M.  le  général  Menabrea,  ambassadeur  d'Italie;  M.  l'ambassadeur  de 
Turquie;  M.  le  ministre  du  Brésil;  M.  Kotzebue,  conseiller  de  l'ambas- 
sade de  Russie.  Puis  immédiatement  après,  parmi  les  membres  de 
l'Académie  française  :  MM.  Legouvé,  Duruy,  le  diic  de  Broglie, 
Rousse,  John  Lemoinne,  Gaston  Boissier,  Mézières,  François  Coppée  ; 
les  membres  de  l'Académie  des  sciences  :  MM.  Hébert,  Cbauveau. 
Bouchard,  Verneuil,  Troost,  Friedel,  Mascart,  Schlœsing,  Jan?sen. 
Tisserand,  Wolf,  Gaudry,  Cailletet,  Grandidier  ;  parmi  les  membres 
des  autres  sections  de  l'Institut  de  France  :  MM.  Guillaume,  Delaunaj-, 
Perrot,  Alex.  Bertrand,  Beaussire;  parmi  les  membres  de  l'Académie 
de  médecine  :  MM.  Ilérard,  président,  Bergeron,  Proust,  Ricord,  Trélal. 
Guéneaude  Mussy,  Dujardin-Beaumetz,  Villemin,  Gavarret,  Lannelon- 
gue,  le  b^^Larrey,  Rochard,  Alphonse  Guérin,  llayem,  Mathias  Duval, 
Roger,  Péan,  A.  Gautier,  Féréol,  Laboulbène,  Laborde,  Worms,  Buc- 
quoy,  Labbé;  parmi  les  médecins  étrangers  spécialement  délégués 
pour  cette  séance  d'inauguration  :  MM.  MetchnikolT.  Gamaleïa, 
Bujwid,  Kraïouchkine,  Helman. 

Debout,  au  pied  de  l'estrade,  une  députation  des  étudiants  de 
Paris,  leur  drapeau  déployé,  formait  comme  une  garde  d'honneur 
de  la  jeunesse  et  du  travail. 


li\ALJ(iL]llATION  DE  L'INSTITUT  l'ASTEUR.  7 

Plusieurs  pages  ne  sullii'aient  pas  à  énuraérer  tous  ceux  qui,  parmi 
les  hommes  de  science  et  les  publicistes,  les  anciens  élèves  de 
M.  Pasleur,  MM.  Raulin,  Gayon,  Maillot  et  ses  disciples  actuels,  les 
souscripteurs  importants,  s'étaient  placés  plus  ou  moins  facilement 
dans  cette  salle  devenue  trop  petite.  A  la  porte  et  jusque  dans  la 
galerie  se  tenaient  debout  les  hommes  les  plus  connus,  les  plus 
célèbres,  ne  pouvant  entrer  dans  la  salle  et  ne  s'en  étonnant  pas. 

La  séance  s'ouvrit  et  M.  Bertrand  prononça  le  discours  suivant  : 

DISCOURS  Di;  M.  «ERTU.WD. 

Messieurs, 

La  tâche  qui  m'est  échue  est  plus  douce  que  facile.  Je  n'ai 
rien  à  vous  apprendre  et  les  paroles  me  manquent  pour  remer- 
cier dignement  le  chef  de  l'Etat,  la  réunion  imposante  et  les 
savants  illustres  qui  parleur  bienveillance,  leur  protection  et  leur 
concours  empressé  hâteront  nos  progrès  aujourd'hui  certains. 

Nos  espérances  sont  g-randes  :  je  n'ai  pas  à  les  dire  aujour- 
d'hui. Laissons  à  l'avenir  sa  part  de  joies  et  de  triomphes  ,  le  pré- 
sent nous  suffit;  le  nom  de  Pasteur,  pour  égaler  les  plus  illus- 
tres, n'a  pas  besoin  de  grandir  encore. 

Depuis  quarante  ans,  mon  cher  Pasteur,  vous  laissez  venir  la 
gloire  sans  la  poursuivre.  Entre  tant  de  routes  où  souvent  on  la 
cherche,  vous  n'en  connaissez  qu'une,  celle  de  la  vérité.  Là 
comme  ailleurs  on  peut  la  rencontrer,  voti'e  renommée  en  est  la 
preuve. 

La  date  du  14  novembre  1888  restera  immortelle  dans  l'his- 
toire de  la  médecine.  Permettez-moi^  pour  toute  contribution  à 
cette  belle  journée,  de  me  reporter  un  instant  vers  le  temps  déjà 
ancien  de  vos  premiers  succès. 

L'éclat  de  vos  débuts  ne  pouvait  frapper  que  les  savants. 
Quelques-uns  seulement  vous  ont  deviné  et  compris.  Leurs 
noms,  célèbres  ou  illustres,  recevront  un  éclat  nouveau  du 
patronage  empressé,  spontanément  offert  à  votre  gloire  nais- 
sante. 

En  rappelant  dans  cette  fête  le  souvenir  de  Biol,  de  Sénar- 
mont,  de  Claude  Bernard,  de  Balard  et  de  J.-B.  Dumas,  je 
réponds,  j'en  suis  sûr,  à  vos  sentiments  les  plus  chers. 


8  INAIJGUUATION  DE  L'INSTITUT  PASTEIJK. 

Je  ue  céderai  pas  à  la  tentation  de  passer  en  revue  Je  long 
enchaînement  des  travaux  admirés  par  de  si  grands  juges.  On 
vous  rencontre  sur  toutes  les  voies  de  la  science.  Je  m'écarterais 
du  but  de  cette  réunion  en  y  cherchant  à  votre  suite  la  trace 
ineffaçable  de  votre  empreinte. 

Yos  condisciples  ,  longtemps  avant  vos  maîtres  ,  avaient 
beaucoup  auguré  de  vous. 

Dans  un  rapide  voyage  sur  les  bords  du  Rhin,  c'était  en 
4847,  j'avais  eu  la  bonne  fortune  de  rencontrer  et  d'associer  à 
mes  excursions  un  des  plus  brillants  élèves  de  l'École  dont 
vous  êtes  la  gloire.  Curieux  de  toute  science,  savant  dans  l'his- 
toire de  l'esprit  humain,  Emile  Verdet  savait  tout  comprendre. 

Jugeant  de  haut  les  gloires  du  passé,  il  portait  sur  l'avenir 
de  clairvoyants  regards. 

Pendant  une  belle  soirée  d'été,  sur  les  confins  de  la  Forêl- 
Noire,  nous  abordâmes  les  plus  difficiles  problèmes.  Encouragés 
par  une  confiance  mutuelle,  nous  laissions  ce  jour-là,  quoique 
sceptiques  tout  deux,  libre  carrière  à  nos  espérances.  Nous  nous 
demandions  quels  seraient  parmi  nos  amis  jeunes  encore,  les 
mieux  armés  pour  réaliser  nos  ambitieuses  rêveries. 

Beaucoup  de  noms  furent  prononcés,  plus  d'une  célébrité 
latente  alors,  fut  prédite  par  Verdet  qui  ne  se  trompa  guère  ;  il 
me  parla  de  son  ami  Pasteur.  Je  vous  connaissais  à  peine.  Je 
n'eus  pas  l'occasion  de  vous  dire  au  retour  les  pronostics  de  ce 
penseur  judicieux  et  sévère. 

Votre  modestie,  aujourd'hui  mieux  aguerrie,  en  aurait  cer- 
tainement souffert.  Verdet  cependant  faisait  sur  chacun  des 
réserves.  Sur  vous  comme  sur  les  autres,  il  conservait  des 
doutes.  «  Pasteur,  me  dit-il,  ne  connaît  pas  les  limites  de  la 
science.  Je  crains  pour  lui  de  stériles  efforts!  il  aime  les  problèmes 
insolubles.  »  Pouvail-on,  je  vous  le  demande,  messieurs,  se 
tromper  avec  plus  de  perspicacité? 

Les  problèmes  qui,  depuis  un  demi-siècle ,  tourmentent 
sans  repos  votre  esprit,  ne  sont  plus  insolubles  aujourd'hui.  C'est 
pour  vous  en  remercier  au  nom  de  la  science,  pour  nous  en 
réjouir  au  nom  de  l'humanité,  pour  nous  en  glorifier  tous 
ensemble  au  nom  de  la  France,  que  nous  sommes  réunis 
aujourd'hui. 


INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 


9 


Il  élait  impossible  de  mieux  résumer  l'état  des  esprits  et  de  dire 
plus  simplement  de  si  grandes  choses. 

M.  le  docteur  Grancher  prit  ensuite  la  parole  et,  dans  un  discours 
que  nous  donnons  i)i  e.vtenso,  rendit  compte  des  résultats  de  la  vacci- 
nation antirabique  non  seulement  en  France,  mais  dans  le  monde  entier. 
Au  cours  de  cet  exposé  lumineux  se  trouve  une  page  historique  des 
luttes  soutenues  : 


DISCOURS  DE  M.  LE  PROFESSEUR  GRANCHER. 

Monsieur  le  Président  de  la  République, 
Messieurs, 

La  communication  que  M.  Pasteur  fit  à  l'Académie  des 
sciences^  le  26  octobre  188S,  dans  laquelle  il  annonçait  que  le 
jeune  Meister  avait  subi  avec  succès  l'inoculation  antirabique, 
causa  dans  le  monde  scientifique  un  émoi  profond.  C'était,  en 
effet,  lapremière  application  à  l'homme  d'une  méthode  générale 
de  traitement  des  maladies  virulentes  et  contagieuses,  et  l'on 
comprend  aisément  l'enthousiasme  et  les  espérances  des  uns,  le 
scepticisme,  l'hostilité  même  des  autres. 

Après  Meister  et  Jupille,  les  blessés  affluèrent  en  si  grand 
nombre,  que  M.  Pasteur  et  ses  collaborateurs,  pris  au  dépourvu, 
durent  improviser  une  organisation  sommaire  de  tous  les  ser- 
vices accessoires  de  la  vaccination  antirabique  :  inscription  des 
malades,  pansement  des  plaies,  correspondance,  etc.,  etc.,  de 
sorte  que  l'année  1886  fut  absorbée  tout  entière  dans  l'énorme 
labeur  exigé  par  la  vaccination  de  2,682  personnes  françaises  ou 
étrangères,  chaque  personne  recevant,  en  moyenne,  quinze  à 
vingt  inoculations.  M.  Pasteur  sentait  dès  ce  moment  le  besoin 
impérieux  d'un  journal  ou  d'une  revue,  organe  officiel  du  labo- 
ratoire, qui  pubUerait  mensuellement  la  statistique  des  vacci- 
nations; malheureusement,  sa  santé,  sérieusement  ébranlée  par 
les  fati^'ues  et  les  émotions,  le  força  à  quitter  Paris  avant  la  fin 
de  1886,  et  les  A7t)iales  de  finslitut  Pasteur,  fondées  par  M.  Du- 
claux,  professeur  de  chimie  biologique  à  la  Sorbonne,  ne  paru- 
rent qu'en  janvier  1887. 

Cependant,  les  adversaires  de  la  méthode  de  M.  Pasteur  ne 


10  INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 

manquaient  pas  de  tirer  parti  de  notre  silence,  et,  profitant  de 
quelques  insuccès  survenus  dans  le  cours  et  à  la  fin  de  1886,  ils 
racontaient  çà  et  là  que  le  laboratoire  cachait  ses  morts,  dont 
le  nombre  était  légion.  Ils  allaient  même  jusqu'à  dire  que  la 
nouvelle  méthode  donnait  la  raye  au  lieu  de  la  guérir. 

Au  commencement  de  janvier  1887,  l'Académie  de  médecine 
fut  saisie  de  la  question,  et  nous  pûmes  enfin  combattre  par  des 
faits  et  par  des  chiffres  ces  bruits  calomnieux  qui  troublaient 
l'opinion  publique  et  risquaient  de  jeter  l'effroi  parmi  nos  malades. 
En  même  temps,  les  Sociétés  savantes  de  Naples,  de  Vienne  et  de 
Saint-Pétersbourg  retentissaient  du  bruit  de  la  querelle  des  Pas- 
toriens  et  des  Antipastoriens. 

Dans  ces  discussions  scientifiques  où  l'attaque  et  la  défense 
furent  également  ardentes,  tout  a  été  dit  pour  et  contre  la  méthode 
des  vaccinations  antirabiques  ;  les  adversaires  soutenant  que  la 
méthode  est  inefficace  ou  dangereuse,  selon  les  cas ,  les  partisans 
proclamant,  au  contraire,  que  la  vaccination  antirabique  est  inof- 
fensive et  merveilleusement  efficace. 

La  bataille,  suspendue  pendant  plusieurs  mois,  fut  reprise  en 
juillet,  en  présence  de  M.  Pasteur,  qui  répondit  à  ses  contradic- 
teurs avec  sa  vaillance  accoutumée.  Elle  avait  été  provoquée  par 
le  rapport  de  la  Commission  anglaise  que  M.  Pasteur  présentait 
à  l'Académie. 

Cette  Commission  officielle,  composée  des  savants  les  plus 
célèbres  de  l'Angleterre,  avec  un  jeune  et  habile  physiologiste, 
M.  V.  Horsley,  pour  rapporteur,  était  arrivée  à  Paris  fort  incré- 
dule. Après  une  enquête  approfondie  des  faits,  elle  revint  en 
Angleterre  et  répéta  les  expériences  de  M.  Pasteur  ;  son  contrôle 
expérimental  dura  plus  d'une  année.  La  conclusion  de  la  Com- 
mission, au  grand  désappointement  de  nos  adversaires,  fut,  je 
cite  textuellement  :  que  M.  Pasteur  avait  découvert  une  ?ne't/wde 
prévejitive  de  la  rage  comparable  à  celle  de  la  vaccination  contre 
la  variole. 

La  discussion  académique  fut  close  enfin  par  les  paroles  sui- 
vantes de  M.  Charcot  : 

«  Oui,  l'inventeur  de  la  vaccination  antirabique  peut,  aujour' 
d'hui  plus  que  jamais,  marcher  la  tête  haute  etpoursuivre  désor- 
mais l'accomplissement  de  sa  tâche  glorieuse  sans  s'en  laisser 
détourner  un  seul  instant  par  les  clameurs  de  la  contradiction 


INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR.  Il 

systématique  ou  par  les  murmures  iusidieux  du  dénigrement.  » 

Celte  parole  si  autorisée  fut  entendue  de  tousetl'année  1888 
s'est  écoulée  pacifiquement. 

Messieurs,  avant  de  vous  présenter  nos  statistiques,  je  vou 
drais  vous  dire  quelles  sont,  à  mon  avis,  les  causes  de  cette 
hostilité  que  la  vaccination  antirabique  a  rencontrée  si  pas- 
sionnée. 

Vous  savez  que  M.  Pasteur  est  un  novateur,  que  son  imagi- 
nation créatrice,  réglée  par  l'observation  rigoureuse  des  faits,  a 
renversé  bien  des  erreurs  et  édifié  à  leur  place  toute  une  science 
nouvelle.  Ses  découvertes  sur  les  fermenis,  sur  la  g-énération 
des  infiniment  petits,  sur  les  microbes  causes  des  maladies  con- 
tagieuses, et  sur  la  vaccination  contre  ces  maladies,  ont  été  pour 
la  chimie  biologique,  pour  l'art  vétérinaire  et  pour  la  médecine, 
non  pas  un  progrès  régulier,  mais  une  révolution  radicale. 

Or,  les  révolutions,  même  celles  qu'impose  la  démonstration 
scientifique,  laissent  partout  oti  elles  passent  des  vaincus  qui  ne 
pardonnent  pas  aisément.  M.  Pasteur  a  donc,  de  par  le  monde, 
beaucoup  d'adversaires,  sans  compter  ces  Français  d'Athènes 
qui  n'aiment  pas  que  le  même  homme  soit  toujours  [juste  ou 
toujours  heureux. 

Et,  comme  si  ses  adversaires  n'étaient  pas  encore  assez  nom- 
breux, M.  Pasteur  s'en  fait  d'autres  par  la  rigueur  implacable 
de  sa  dialectique  et  par  la  forme  absolue  qu'il  donne  quelquefois 
à  sa  pensée. 

Cette  forme  peut  être  dangereuse,  surtout  dans  les  choses  de 
la  médecine,  où  l'ien  n'est  absolu,  et  oià  les  exceptions  à  la  règle 
sont  toujours  nombreuses.  Or,  M.  Pasteur,  par  habitude  d'es- 
prit, néglige  volontiers  ces  faits  contingents  qui  ne  sauraient, 
il  est  vrai,  prévaloir  contre  la  loi,  mais  qui,  lorsqu'il  s'agit  d'une 
médication  appliquée  à  l'espèce  humaine,  méritent  d'être  com- 
ptés. Il  a  donc  purement  et  simplement  proclamé  l'efficacité  de 
sa  méthode  de  traitement  de  la  rage,  sans  faire  ses  réserves  sur 
la  possibilité  d'échecs  partiels,  tandis  que,  s'il  eût  été  médecin, 
il  eût  instinctivement  pris  ses  précautions  en  prévoyant  la  possi- 
bilité d'insuccès.  Il  n'en  fit  rien  et  s'exposa  ainsi  aux  coups  de 
la  médecine  traditionnelle. 

Or,  pour  comprendre  la  résistance  de  la  médecine  aux  décou- 


12  INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 

vertes  de  M.  Pasteur,  il  sufllt  de  jeter  un  regard  sur  les  mouve- 
ments qui  l'agitent  depuis  quinze  ans. 

Nous  savions  à  peine  que,  dans  certaines  maladies,  le  sang, 
les  humeurs  et  les  tissus  sont  occupés  par  des  êtres  infiniment 
petits,  lorsque  M.  Pasteur,  conduit  par  ses  travaux  sur  les  fer- 
ments, s'est  jeté  dans  cette  voie,  nouvelle  pour  lui  et  pour  nous. 
Et  quelles  découvertes  il  y  fait  coup  sur  coup  !  Il  nous  éclaire; 
ce  n'est  pas  assez  dire,  il  éblouit  nos  yeux  habitués  au  demi-jour 
de  la  médecine  hippocratique. 

Voyez  M.  Pasteur  en  face  delabactéridie  charbonneuse.  Non 
seulement  il  en  fait  la  biologie,  non  seulement  il  nous  prouve 
qu'elle  est  la  cause  unique  du  charbon,  mais  il  éduque,  il  disci- 
pline cet  infiniment  petit  et  lui  apprend  à  servir  contre  soi-même 
et  à  devenir  son  propre  vaccin.  L'expérience  de  Pouilly-le-Fort, 
longuement  préparée  par  les  travaux  de  laboratoire  de  MM.  Pas- 
teur, Chamberland  et  Roux,  est  célèbre  dans  le  monde  entier. 

Lorsque,  au  Congrès  de  Londres,  en  1881,  M.  Pasteur 
annonça  cette  grande  découverte  de  l'atténuation  des  virus  et 
de  la  vaccination  du  choléra  des  poules  et  du  charbon,  un  des 
hommes  les  plus  compétents  en  microbie,  M.  Koch,  aurait  dit  : 
«  C'est  trop  beau  pour  être  vrai  !  »  et,  trois  mois  après,  dans  le 
premier  numéro  des  Mittheilungen  de  Berlin,  il  prenait  résolu- 
ment parti  contre  M.  Pasteur.  Depuis,  M.  Koch  a  concédé  que 
l'atténuation  et  la  vaccination  sont  des  faits  exacts  et  d'une 
grande  portée  scientifique,  mais  il  nie  peut-être  encore  aujour- 
d'hui la  valeur  pratique  de  ces  vaccinations.  Et  cependant  le 
vaccin  charbonneux  se  répand  partout  où  le  charbon  existe  : 
en  France,  en  Italie,  en  Hongrie,  en  Espagne,  aux  Indes,  en 
Australie.  Quelle  meilleure  preuve  de  sa  valeur  scientifique  et 
pratique  ! 

Cette  opposition  ne  troublait  pas  M.  Pasteur  qui  nous 
disait  :  «  Eh  bien!  qu'ils  nient  l'atténuation  des  virus  et  la  vacci- 
nation, nous  aurons  sur  eux  dix  ans  d'avance!  » 

Et  le  charbon  est  à  peine  achevé  que  M.  Pasteur  s'attaque 
à  la  rage.  Là,  pendant  plusieurs  années,  avec  l'aide  de  M.  Roux, 
il  fait  expériences  sur  expériences  et  arrive  à  des  résultais  plus 
merveilleux  encore.  Le  microbe  de  la  rage  a  échappé  jusqu'ici  à 
tous  les  reg'ards,  mais  il  existe  assurément.  Eb  hienl  sans  le 
connaître  autrement  que  par  ses  effets,  M.  Pasteur  a  trouvé  le 


INAUGURATION  Dl-:  I/INSTI  TIfT  PASTiaîR.  13 

moyen  de  l'iililiser  comme  malièro  vaccinale.  Et  surtout, 
M.  Pasteur  a  osé  proposer  la  vaccination  aprës  morsure,  c'est-à- 
dire  après  infection.  Or,  les  médecins  ont  toujours  vécu  sur  ce 
dogme  qu'un  virus,  quel  qu'il  soit,  qui  a  pénétré  dans  le  corps 
humain  est  désormais  inattaquable  et  doit  y  produire  ses  eiïets. 

La  résistance  des  médecius  à  tant  de  nouveautés  subver- 
sives est  donc  bien  compréhensible.  Pour  reconnaître  qu'on  a 
appris  d'abord,  pïiis  enseigné  des  erreurs,  il  faut,  outre  l'étude 
personnelle  et  impartiale  des  faits  nouveaux,  une  certaine  lar- 
geur d'esprit  qu'on  ne  rencontre  pas  toujours,  même  chez  les 
hommes  les  plus  distingués. 

M.  Pasteur,  heureusement  pour  lui  et  peut-être  même  pour 
nous,  n'est  pas  médecin.  Expérimentateur  sans  idées  préconçues 
et  sans  préjugés  d'école,  il  a  créé,  à  côté  de  la  médecine  tradi- 
tionnelle qu'il  ig-nore,  une  médecine  nouvelle  que  ses  contradic- 
teurs ignorent  à  leur  tour.  Cette  médecine  est  fondée  sur  cette 
idée  que  la  spontanéité  morbide  n'existe  pas  pour  les  maladies 
infectieuses,  et  que  les  lois  de  la  pathologie  générale  sont  com- 
munes aux  hommes  et  aux  animaux.  Combien  de  médecins, 
cependant,  ont  été  élevés  à  croire  le  contraire  !  Gela  étant,  com- 
ment s'étonner  de  leur  opposition  et  de  leur  révolte?  Je  trouve, 
pour  ma  part,  leur  scepticisme  fort  excusable,  puisqu'il  procède 
des  idées  traditionnelles,  c'est-à-dire  de  l'esprit  de  conservation. 

Il  ne  faut  pas  oublier  toutefois,  et  M.  Pasteur  n'oublie  pas, 
qu'à  l'heure  critique,  il  s'est  trouvé,  pour  défendre  la  vaccina- 
lion  antirabique,  une  élite  de  médecins,  hommes  de  science  et 
d'avant-garde,  dont  l'autorité,  universellement  reconnue,  a  fait 
pencher  le  plateau  de  la  balance  du  bon  côté.  Au  premier  rang-, 
Vulpian,  qui  non  seulement  avait  suivi  M.  Pasteur,  mais  l'avait 
poussé  àlavaccination  antirabique,  Vulpian  combattit  et  mourut 
sur  la  brèche  en  défendant  avec  une  éloquence  enflammée  la 
méthode  nouvelle. 

A  côté  de  Yulpian,  les  BrouarJel,  les  CharcoL,  les  Verneuil. 
les  Chauveau,  les  Yillemin  se  sont  honorés  en  soutenant  la 
cause  du  progrès  et  en  préparant  son  triomphe. 

M.  Pasteur  eut  ainsi  la  bonne  fortune  de  trouver,  même  à 
l'heure  des  défaillances  et  des  défections,  un  double  point  d'appui, 
d'une  part  dans  la  foule  des  malades  qui  n'hésita  jamais,  d'autre 
part,  dans  la  parole  respectée  de  nos  maîtres  les  plus  éminents. 

I 


14  TNAlJfJUUATfON  DR  L'INSTITUT  PASTEUR. 

Beaucoup  d'autres  médecins  parlageaienl  la  foi]  scientifique  de 
M.  Pasteur;  je  ne  les  nomme  ni  ne  les  connais  tous,  mais  ils  se 
taisaient,  et  nos  adversaires  menaient  un  tel  bruit  dans  toutes 
les  presses  et  les  Académies  qu'à  les  entendre,  la  vaccination 
antirabique  était  morte. 

Elle  vit,  Messieurs,  et  elle  prospère,  car  il  existe  aujour- 
d'hui, en  comptant  celui  de  Paris,  plus  de  vingt  instituts  antira- 
biques disséminés  dans  le  monde  entier.  11  y  en  a  sept  en 
Russie  :  à  Odessa,  Saint-Pétersbourg,  Moscou,  Varsovie, 
Charkow,  Samara  ei  Tiflis;  cinq  en  Italie  :  à  Naples,  Milan, 
Turin,  Palerme,  Bologne,  ces  deux  derniers  créés  récemment  et 
dotés  par  le  roi.  Un  à  Vienne,  un  à  Conslantinople,  un  à  Bar- 
celone, un  à  Bucarest,  un  à  Rio  de  Janeiro ,  un  à  la  Havane,  un 
à  Buenos- Ayres  ;  enfin  à  Chicago  et  à  Malte,  deux  nouveaux 
laboratoires  sont  en  voie  d'organisation. 

L'Institut  antirabique  de  Paris  est  en  relation  suivie  avec  ces 
laboratoires  dont  les  chefs  sont  tous  venus,  sauf  deux,  étudier  ici 
la  méthode  de  M.  Pasteur  pour  l'appliquer  à  leurs  malades  avec 
ses  perfectionnements  progressifs. 

Dès  l'origine,  nous  avons  classé  nos  malades  en  trois 
tableaux  A,  B  et  C.  Le  tableau  A  contient  toutes  les  personnes 
mordues  par  des  animaux  reconnus  enragés  par  preuve  expéri- 
mentale absolue.  Dans  le  tableau  B  sont  inscrites  toutes  les 
personnes  mordues  par  des  animaux  déclarés  enragés  par  certi- 
ficats de  vétérinaires;  c'est  le  tableau  le  plus  chargé.  Enfin,  le 
tableau'C  contient  toutes  les  personnes  mordues  par  des  ani- 
maux suspects  de  rage.  La  suspicion  résulte  ici  des  circonstances 
même  delà  morsure.  Un  chien  inconnu  traversant  un  village  y 
mord  plusieurs  enfants  et  des  animaux,  chiens,  moulons,  puis 
disparaît.  Si  les  personnes  mordues  se  présentent  au  laboratoire, 
nous  les  inscrivons  dans  le  tableau  C.  En  fait,  ce  tableau  est  de 
plus  en  plus  restreint,  car  notre  sélection  est  de  plus  en  plus 
sévère,  de  telle  sorte  que  je  crois  pouvoir  affirmer  que  98  %  des 
personnes  admises  à  la  vaccination  ont  été  mordues  par  des  ani- 
maux enragés. 

Notre  statistique  (jénérale  comprend  donc  trois  tableaux  A. 
B  et  C,  réunis  en  un  seul.  Elle  se  subdivise  en  statistique  parti- 
culière à  chacun  des  tableaux  A,  B  et  G  et  en  statistiques  spé- 


INAUGURATION  DE  L'INSïlTUÏ  PASTEUR'.  15 

claks  pour  les  morsures  de  la  tête  et,  de  la  face,  des  mains,  des 
membres  et  du  tronc. 

Pour  ne  point  fatiguer  inutilement  votre  attention,  je  ne 
prendrai  que  quelques  chiffres.  Les  Annales  de  r Institut  Pasteur 
qui  publient  les  tableaux  mensuels  donneront  les  tableaux  com- 
plets. 

Le  nombre  des  personnes  traitées  à  Paris  pendant  les  années 
-1886-1887  et  la  première  moitié  de  1888  s'élève  à  :i,374.  En 
1886,  011  l'affluence  des  étrangers  était  considérable,  nous  avons 
inoculé2, 682  personnes,  4,778  en  1887  et  91 4 jusqu'au  l^"- juillet 
1888. 

Le  taux  de  la  mortalité,  en  comptant  tous  les  morts,  même 
ceux  pris  de  rage  le  lendemain  du  traitement,  est,  pour  1886,  de 
1,34  «/o,pour  1887  de  1,12,  et  pour  1888  de  0,77'. 

Mais  il  convient  d'écarter  des  tables  de  la  mortalité  les 
personnes  qui  succombent  à  la  rage  dans  les  quinze  jours  qui 
suivent  le  traitement,  car  la  vaccination  pour  être  efficace  doit 
être  achevée  avant  que  l'incubation  du  virus  du  chien  mordeur 
ait  commencé  dans  les  centres  nerveux.  Or,  le  virus  de  la  rage 
commune,  porté  directement  à  la  surface  du  cerveau  d'un  chien, 
y  incube  pendant  quinze  ou  dix-huit  jours  avant  d'y  produire 
ses  effets. 

Chez  les  malades  qui  succombent  à  la  rage  dans  la  quinzaine 
qui  suit  le  traitement,  celui-ci  a  été  inutile,  parce  qu'il  a  été 
trop  tardif,  mais  il  n'a  pas  été  mis  en  échec,  parce  que  les 
conditions  de  son  efficacité  n'étaient  point  réalisées. 

En  opérant  cette  défalcation,  que  pas  un  médecin  ne  saurait 
nous  refuser,  le  taux  de  la  mortalité,  malgré  le  traitement, 
tombe  pour  1886  à  0,93  "/o,  pour  1887  à  0,67  Vo.  et  pour  1888  à 
0,.^S  «/o. 

Ces  chiffres  sont  sensiblement  plus  faibles  que  les  premiers, 
puisque  la  mortalité  reste  toujours  au-dessous  de  I  "/n-  Mais  les 
uns  et  les  autres  donnent  une  mortalité  progressivement 
décroissante  alors  que  notre  choix  des  personnes  admises  au 
traitement  est  de  plus  en  plus  sévère. 

Messieurs,  cette  décroissance  dans  la  mortalité  tient  aux 

■1.  Tous  les  chilïres  de  la  statistique  de  -1888  ont  été  relevés  sur  nos  registres 
à  la  date  du  31  octobre. 


/ 


16  INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 

perfectionnements  progressifs  apportés  .'i  la  première  formule 
de  traitement.  Nous  faisons  un  traitement  plus  énergique,  plus 
prolongé,  plus  intensif,  pour  prendre  le  mot  de  M.  Pasteur  qui 
a  fait  tant  de  bruit,  et  le  traitement  reste  inoffensif.  Cette  effi- 
cacité différente  de  la  vaccination  antirabique  selon  telle  ou 
telle  formule,  est  la  preuve  la  plus  certaine  de  sa  valeur  théra- 
peutique. Les  savants  russes  qui  combattaient  la  vaccination 
antirabique  à  Odessa  et  à  Saint-Pétersbourg  le  jugèrent  ainsi,  et 
cessèrent  toute  opposition  lorsque  M.  Gamaleïa  leur  eut  montré 
deux  tables  de  mortalité  fort  différentes  selon  la  méthode 
employée. 

A  Odessa,  le  traitement  simple  appliqué  à  136  personnes  a 
donné  une  mortalité  de  5,88  "/o,  tandis  que  le  traitement  intensif 
appliqué  à  997  personnes  a  donné  une  mortalité  de  0,80 

M.  le  D""  Bujwid,  chef  du  Laboratoire  de  Varsovie,  a  fait  de 
son  côté  les  mêmes  observations.  M.  Bujwid,  qui  assiste  à 
cette  séance,  ne  me  contredira  pas  si  je  dis  que  quand  il  vint  à 
Paris  y  étudier  la  vaccination  antirabique,  il  était  fort  sceptique. 
Elève  de  Koch,  et  déjà  très  habile  technicien  en  microbie,  il 
travailla  avec  nous  plusieurs  mois,  puis,  dans  son  laboratoire 
privé  à  Varsovie,  il  pratiqua  les  inoculations  antirabiques. 

M.  Bujwid  étudia  le  traitement  simple,  en  s'arrèlant  à  la 
moelle  de  six  jours.  193  personnes  vaccinées  donnèrent  une 
mortalité  de  4,1  "/o-  Au  contraire,  le  traitement  intensif  appliqué 
à  des  malades  choisis  sévèrement  parmi  ceux  dont  la  morsure 
était  réellement  dangereuse  (30  étaient  mordus  au  visage,  dont 
4  par  des  loups  enragés)  a  donné  les  résultats  les  meilleurs  :  sur 
370  personnes  vaccinées  jusqu'au  septembre,  il  n'y  a  pas  eu 
de  mort,  de  sorte  que  M.  Bujwid  est  devenu  un  partisan  très 
convaincu  de  la  méthode. 

Nos  statistiques  particulières,  dressées  pour  chaque  tableau 
A,  B  et  C,  conduisent  aux  mêmes  conclusions.  La  mortalité, 
dans  Je  tableau  A  qui  ne  contient  que  des  personnes  dont  la 
morsure  était  sûrement  virulente,  ne  diffère  pas  sensiblement 
de  la  mortalité  du  tableau  C,  qui  comprend  les  personnes 
mordues  par  des  animaux  simplement  suspects.  Pour  les  trois 
années  1886-87-88,  la  mortalité  dans  le  tableau  A  est  de  1,36 
en  comptant  tous  les  morts,  et  de  1.09  en  ne  comptant  que  les 
morts  survenues  15  jours  après  le  traitement.  Dans  le  tableau 


INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR.  17 

C,  cette  mortalité  est  de  1,30  7o  ou  de  0,34  Vo.  Celte  similitude 
dans  le  chitTre  de  la  mortalité  pour  deux  tableaux  en  apparence 
si  didérents,  prouve  deux  choses  :  1"  que  le  très  grand  nombre 
des  animaux  mordeurs,  dits  suspects,  étaient  bel  et  bien  atteints 
de  rage  ;  2"  qu'il  y  a  lieu  de  traiter  avec  la  môme  sévérité  les 
personnes  des  tableaux  A  et  C. 

Les  statistiques  spéciales,  drossées  séparément  pour  les 
morsures  du  visage,  des  mains  ou  des  membres,  témoignent  à 
leur  façon  de  l'efficacité  de  la  vaccination  antirabique.  On  sait 
que  dans  les  anciennes  statistiques,  la  mortalité  moyenne  de 
toutes  morsures  était  évaluée  à  10,  15  ou  20  7o'  selon  les 
observateurs,  et  que  la  mortalité  par  morsure  faite  à  la  tête  ou 
au  visage  s'élevait  à  80  et  88  7o-  J^ans  nos  tableaux,  la  mortalité 
après  morsure  à  la  tête  ou  au  visage  est  de  3,84  "/o  si  on  compte 
tous  les  morts;  elle  est  en  réalité  de  1,82  si  on  écarte  les 
morts  survenues  dans  la  quinzaine  qui  a  suivi  le  traitement. 
Ainsi,  dans  ce  genre  de  morsure,  la  moitié  des  morts  survient 
dans  les  quinze  premiers  jours  après  le  traitement,  ce  qui  est 
une  nouvelle  preuve  de  leur  gravité  exceptionnelle.  Mais,  cette 
période  dangereuse  passée,  le  traitement  est  presque  aussi  effi- 
cace pour  elles  que  pour  les  morsures  communes.  Nous  nous 
expliquons  ce  résultat  par  la  vaccination  particulièrement  éner- 
gique donnée  aux  personnes  mordues  à  la  tète  ou  au  visage. 

L'écart  du  chiffre  réel  de  notre  statistique  :  1,82  "f^,  et  des 
chiffres  des  statistiques  classiques  :  80  et  88  7o'  6St  tellement 
considérable  qu'il  est  impossible  de  méconnaître  l'intervention 
bienfaisante  du  vaccin  antirabique. 

Les  statistiques  étrangères  concordent  avec  les  nôtres  : 

A  Saint-Pétersbourg,  le  laboratoire  fondé  par  Son  Altesse 
Impériale  le  Prince  Alexandre  d'Oldenbourg,  et  entretenu  à  ses 
frais,  a  vacciné,  depuis  le  13  juillet  1886  jusqu'au  13  septembre 
1888,  484  personnes.  La  mortalité  moyenne  a  été  de  2,68  7o- 

Des  renseignements  fournis  par  M.  le  D""  Kraïouchkinc, 
médecin  de  la  station  antirabique,  il  résulte  que  la  mortalité, 
un  peu  plus  élevée  que  la  nôtre,  de  cette  statistique,  s'explique 
par  la  gravité  extrême  des  morsures. 

A  Odessa,  dans  le  laboratoire  dirigé  par  M.  le  professeur 
Metchnikoiï,  M.  le  D'"Gamaleïa  a  vacciné  : 


18  INAlKiURATTON  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 

En  1886,  ;i24  personnes  par  divers  traitements  simples. 
Mortalité  :  3,39  7„. 

En  1887,  343  personnes  par  le  traitement  intensif.  Morla- 
litô  :  0,S8  7„. 

En  1888,  364  personnes  par  le  traitement  intensif.  Morta- 
lité :  0,64  "/„. 

Pendant  ces  trois  années,  1,135  personnes  ont  subi  le  trai- 
tement antirabique  avec  une  mortalité  moyenne  de  1,41  «/o- 

A  Moscou^  à  l'Institut  antirabique  fondé  sous  les  auspices  du 
prince  Dolgoroukow,  M.  le      Gwozdeiï  a  vacciné: 

Eu  1886,  107  personnes  par  le  traitement  simple.  Mortalité  : 
8,40  7„. 

En  1887,  280  personnes  par  le  traitement  intensif.  Morta- 
lité :  1,27  o/n. 

En  1888,  246  personnes  par  le  traitement  intensif.  Morta- 
lité :  1,60  Vo. 

A  Varsovie,  M.  Bujwid  a  inoculé  : 

297  personnes  par  divers  traitements  simples.  La  mortalité 
moyenne  a  été  de  3  "/o- 

370  personnes  avec  la  méthode  intensive.  La  mortalité, 
jusqu'ici,  est  nulle.  (Déjà,  10  mois  se  sont  écoulés  depuis  le 
commencement  de  l'application  de  cette  méthode  et  deux  mois 
depuis  le  traitement  du  dernier  malade.) 

A  Samara,  le  D""  Parchenski  a  vacciné  o3  personnes,  dont 
4  mordues  par  des  loups.  La  mortalité,  ici  fort  élevée  :  .3, 67  "/ot 
s'explique  par  le  traitement  insuffisamment  énergique  et  insuf- 
fisamment prolongé,  ainsi  qu'il  résulte  des  renseignements 
fournis  par  une  lettre  du  D'"  Parchenski. 

A  Charkoïc,  et  probablement  pour  les  mêmes  raisons,  mais 
nous  manquons  de  renseig-nements  précis,  M.  le  D'  Protopopoff 
a  vacciné  233  personnes  avec  une  mortalité  de  3,80  "/o- 

A  Turin,  M.  Bordoni  Uiïreduzzi  a  vacciné  en  1886-87  et  88 
S02  personnes  appartenant  au  tableau  A.  Mortalilé  2.50  Vo-  221 
appartiennent  au  tableau  B.  Mortalité  1.30  Vo-  43  appartiennent 
au  tableau  C.  Mortalité  nulle. 

A  Mi/a?i,  M.  le  D'"  Jiaratieri  a  vacciné  335  personnes,  2  sont 
mortes  malgré  le  traitement  :  mortalité  0,60  Vo- 

A  Palerme,  M.  le  prof.  A.  Celli  a  vacciné,  du  l*""  mars  au 
30  septembre  1888,  109  personnes  sans  insuccès. 


INATIGriRATTON  DE  L'INSTITUT  PASTEUR.  111 

A  Naples,  M.  le  prof.  Cantani,  assisté  de  MM.  les  D''*  Vestea 
et  Zagai'i  a  dù  fermer  son  laboratoire,  faute  de  subsides  de  la 
municipalité,  de  janvier  à  août  1888. 

Dans  cette  ville  les  adversaires  de  M.  Pasteur,  très  nom- 
breux, avaient  réussi,  malgré  un  vote  de  conliance  et  d'encou- 
ragement de  l'Académie  de  Naples,  à  ébranler  l'opinion  publique 
et  cl  indisposer  la  junte  municipale  contre  la  méthode  de  M.  Pas- 
teur. Mais,  pendant  cette  période  d'interruption  de  sept  mois, 
9  morts  par  rage  étant  survenues  à  Naples,  la  municipalité  a  pro- 
mis un  subside,  le  gouvernement  et  la  province  de  Naples  en  ont 
promis  d'autres,  et  le  laboratoire  a  été  ouvert  de  nouveau.  Il  est 
aujourd'hui  en  plein  fonctionnement. 

246  personnes  ont  été  vaccinées  à  Naples,  199  depuis  le  jour 
de  l'ouverture  du  laboratoire  (22  septembre  1886)  jusqu'à 
janvier  1888  et  34  depuis  la  réouverture.  La  mortalité  après  vac- 
cination est  de  1,5  %• 

A  Constantinople,  M.  le  général  docteur  Zoëros-Pacha  a 
vacciné  34  personnes,  mortalité  0.  —  Cet  institut  a  été  fondé 
par  ordre  et  sous  les  auspices  de  Sa  Majesté  le  Sultan. 

A  la  Havane,  dans  l'Institut  antirabique  de  M.  le  D""  Santos 
Fernandez,  M.  le  D''  Tamayo  a  inoculé  170  personnes,  parmi 
lesquelles  cinquante  mordues  par  des  animaux  dont  la  rage 
fut  prouvée  expérimentalement.  La  mortalité  est  de  0,60  "/o- 

A  Rio  de  Janeiro,  dans  la  station  vaccinale  due  à  l'initiative 
de  Sa  Majesté  l'empereur  du  Brésil,  M.  le  D''Ferreira  dos  Santos 
a  vacciné  66  personnes.  Jusqu'à  présent  il  n'a  pas  d'insuccès  '. 

Messieurs,  je  ne  puis  passer  sous  silence  la  statistique  du 
département  de  la  Seine  qui,  chaque  année,  estl'objetd'un  rapport 
spécial  au  conseil  d'hygiène  et  de  salubrité.  Le  rapport  pour  1887 
a  été  fait  par  M.  le  D''  Dujardin-Beaumetz  qui  a  pris  ses  docu- 
ments à  la  Préfecture  de  police,  et,  pour  ce  qui  concerne  les 
personnes  vaccinées,  au  laboratoire  de  M.  Pasteur.  Or,  en  1887, 
le  nombre  des  personnes  mordues  et  vaccinées  s'élève  k  306  sur 

•i.  Le  laboratoire  de  Constantinople  n'a  pas  été  cité  dans  le  rapport  lu  par 
M.  Grancher,  le  14.  novembre,  parce  que  nous  manquions  à  cette  date  de  rensei- 
gnements précis.  Il  en  est  de  même  pour  la  statistique  de  Turin.  Pour  l'Institut 
de  Rio  de  Janeiro,  nous  avions  donné  le  chifTre  do  [VA  personnes  inoculées.  Ce 
•  liiffre  était  exact  à  l'époque  où  nous  avons  reçu  le  rapport  de  M.  Ferreira  dos 
Santos  ;  il  s'élève  aujourd'hui  à  66. 


20  INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 

lesquelles  deux  sonl  mortes  '  :  mortalité  0,76  "/„;  d'autre  part, 
sept  cas  de  mort  par  rage  sont  survenus  parmi  les  44  personnes 
qui  figurent  sur  les  listes  administratives  comme  n'ayant  pas  subi 
la  vaccination  antirabique.  Dans  ce  groupe  la  mortalité  atteint 
15,90  7„,  chiffre  que  M.  Leblanc  avait  donné  et  que  MM.  Pasteur 
et  Brouardel  avaient  accepté  comme  représentant  la  mortalité 
moyenne  avant  la  vaccination. 

Et  M.  Dujardin-Beaumetz  conclut:  «  Je  ne  connais  pas  de 
témoignage  plus  éclatant  à  invoquer  à  l'appui  de  la  méthode  des 
inoculations.  » 

Le  rapport  de  M.  Beaumctz  contient  une  autre  conclusion 
non  moins  intéressante,' c'est  que  la  rage  est  une  maladie  qu'on 
peut  combattre  par  mesures  sanitaires  administratives.  Il  a  rap- 
pelé qu'en  Allemagne  la  rage  a  presque  disparu,  grftce  à  une 
prophylaxie  intelligente.  En  effet,  la  rage  n'est  jamais  spontanée, 
elle  est  toujours  transmise  par  inoculation  d'un  animal  à  un 
autre,  et  de  tous  les  animaux  le  chien  est  de  beaucoup  le  plus 
susceptible.  Or,  la  surveillance  des  chiens  est  facile  à  exercer 
quand  l'autorité  est  vigilante  et  la  population  disciplinée. 

Nous  avons  fait  tracer  un  graphique  qui  donne  la  preuve  écla- 
tante du  bon  et  prompt  effet  des  mesures  de  police  sanitaire.  A 
voir  cette  courbe  rapidement  décroissante,  à  partir  de  mai  1888, 
époque  de  l'arrêté  du  préfet  de  police  au  sujet  des  chiens  errants, 
ne  semble-t-il  pas  certain  qu'avec  un  peu  de  persévérance  de 
la  part  des  pouvoirs  publics,  et  un  peu  de  bonne  volonlédelapart 
de  la  population,  on  réussirait  à  réduire  la  rage  à  un  petit  nombre 
de  cas,  en  France  comme  en  Allemagne? 

Vous  savez.  Messieurs,  que  l'Institut  Pasteur  a  été  fondé  non 
seulement  pour  le  traitement  de  la  rage,  mais  aussi  pour  l'étude 
scientifique  des  moyens  de  combattre  pratiquement  les  maladies 
qui  déciment  l'espèce  humaine:  la  diphtérie,  la  fièvre  typhoïde, 
la  phthisie,  etc.  Les  vastes  laboratoires  qui  vont  s'ouvrir  aux 
médecins  français  et  étrangers  seront  ainsi  pour  l'humanité  une 
source  de  bienfaits,  et  un  puissant  moyen  de  diffusion  et  d'expor- 
tation de  la  science  française. 

1.  Ces  chiffres  sont  ceux  du  rapport  de  M.  Beaunielz.  Depuis  que  ce  rapport 
a  6té  fait  une  troisième  personne  vaccinée  a  succombé  ù  la  rage,  ce  qui  élève  l;i 
mortalité  à  0,97  "/o- 


INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 


21 


1Ô87  1888 


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Courbe  indiquant  par  mois  le  nombre  de  personnes  mordues 
dans  le  département  de  la  Seine  et  traitées   à  l'Institut  Pasteur. 


M.Christophle,  gouverneur  du  Crédit  Foncier  deFrance,  le  trésorier 
de  la  souscription,  lut  un  rapport  sur  l'exposé  financier  qui  provoqua 
dès  les  premiers  mots  les  applaudissements. 

DISCOURS  DE  M.  CUUISTOPULE. 

Monsieur  le  Président  de  la  République, 
Messieurs, 

Le  rapport  de  votre  trésorier  pourrait  commencer  comme  un 
conte  de  fées  :  Il  était  une  fois,  dans  un  coin  de  Paris,  mais  un 


22  INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 

coin  si  peu  connu  des  Parisiens  qu'aujourd'hui  encore  il  faut  des 
indications  spéciales  pour  le  découvrir,  un  vaste  terrain  qui 
appartenait  depuis  cent  cinquante  ans  à  une  famille  de  maraî- 
chers. Les  rares  promeneurs  qui  s'égaraient  dans  ce  quartier 
pouvaient  se  donner  le  plaisir  d'embrasser  d'un  coup  d'œil  onze 
mille  mètres  de  légumes.  Chaque  jour,  depuis  le  lever  du  soleil 
jusqu'à  la  tombée  de  la  nuit,  on  voyait  passer  et  repasser  dans 
cet  enclos  des  braves  gens  qui  avaient  la  philosophie  de  Candide, 
sans  l'avoir  lu,  et  répétaient  comme  lui  : 
«  Il  faut  cultiver  son  jardin.  » 

Or,  un  jour,  à  la  (in  de  mai  1887,  ainsi  que  l'on  voit  dans 
Cendrillon  une  citrouille  changée  en  carrosse  doré,  tous  ces 
pieds  de  laitue  si  correctement  alignés  semblèrent  être  frappés 
par  un  coup  de  baguette  et  changés  en  tombereaux.  Des  centaines 
d'ouvriers  se  précipitèrent  sur  cet  hectare  de  salades.  En  un  tour 
de  main,  tout  fut  arraché,  bouleversé.  On  creusa  en  toute  hâte, 
à  d'énormes  profondeurs,  pour  établir  les  bases  d'un  monument 
que  l'on  voulait  indestructible.  S'il  n'y  avait  pas  eu  à  régler  la 
question  du  payement  aux  propriétaires  du  sol  — ce  qui  nous  fait 
rentrer  un  peu  dans  la  réalité  —  tout  dans  cette  histoire  serait 
extraordinaire. 

Les  architectes,  M.  Petit  et  M.Brébant,  déclaraient,  avant  de 
commencer  leurs  plans,  qu'ils  n'accepteraient  aucun  honoraire 
et,  ce  qui  est  plus  surprenant  encore,  qu'ils  ne  dépasseraient  pas 
les  devis;  les  entrepreneurs  apportaient  des  comptes  fantastiques 
par  leur  simplicité;  les  maçons  parlaient  de  travailler  le  lundi. 

Quelle  était  donc,  Messieurs,  la  fée  assez  puissante  pour  ren- 
verser ainsi  toutes  les  habitudes  de  la  vie,  toutes  les  notions 
connues  ?  C'était  la  fée  Enthousiaste  qui  s'était  invitée  elle-même 
dès  le  jour  où  elle  avait  entendu  parler  de  l'Institut  Pasteur. 
Comme  il  s'agissait  de  combattre  contre  de  mauvais  génies  que 
M.  Pasteur'pouvait  emprisonner  dans  des  flacons  de  verre,  et  non 
seulement  réduire  à  l'impuissance,  mais  encore  transformer  en 
génies  protecteurs,  cette  fée,  accompagnée  de  sa  sœur  la  Généro- 
sité, se  mit  en  campagne.  Toutes  deux  parcoururent  les  com- 
munes de  France  et  même  de  l'étranger,  en  annonçant  la  bonne 
nouvelle  dans  les  palais,  dans  les  châteaux  et  dans  les  chau- 
mières. 

Comme  toujours^  et  pour  ne  pas  faire  mentir  le  conte,  elles 


INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR.  23 

rencontrèrent  parfois  sur  leur  route  des  fées  plus  ou  moins 
redoutables  qui,  soit  isolées,  soit  en  conseil,  essayèrent  de  leur 
jeter  un  sort  en  prononçant  des  paroles  dont  personne  ne  se 
souvient  aujourd'hui.  Ainsi  d'ailleurs  que  les  choses  se  passent 
dans  les  contes  qui  hnissent  bien,  les  bonnes  fées  triomphèrent 
et  tous  leurs  souhaits  furent  les  plus  beaux  du  monde.  Nous 
avons  essayé  de  les  mettre  en  pratique. 

C'est  à  la  Banque  de  France  et  au  Crédit  Foncier,  Messieurs, 
que  toutes  les  sommes  ont  été  centralisées.  Les  deux  reg^istres 
qui  sont  là,  sous  vos  yeux,  contiennent  laliste  des  souscripteurs. 
En  entendant  le  rapport  de  M.  Grancher,  vous  pouviez  vous  dire 
que  les  chiffres  ont  leur  éloquence;  j'oserai  dire,  en  parlant  des 
nôtres,  qu'il  ont  leur  émotion.  Les  sommes  prodigieuses  et  les 
offrandes  minimes,  tout  est  inscrit  —  avec  les  noms  en  regard 
—  dans  ce  livre  d'or  dont  les  pages  feront  un  jour  un  des 
chapitres  les  plus  touchants  et  les  plus  glorieux  de  l'histoire  de 
cette  maison. 

Je  conseillerais  à  ceux  qui  ne  voient  l'humanité  que  sous  un 
vilain  jour,  qui  vont  répétant  que  tout  est  pour  le  pire  ici-bas, 
qu'il  n'y  a  dans  le  monde  ni  désintéressement  ni  dévouement,  de 
jeter  un  coup  d'oeil  sur  les  documents  humains  de  l'Institut  Pas- 
teur. Ils  apprendront  là,  pour  commencer  par  le  commencement, 
que  l'on  rencontre  dans  les  Académies  des  confrères  que  non 
seulement  la  gloire  d'un  autre  n'offense  pas,  mais  qui  trouvent 
leur  bonheur  et  mettent  leur  fierté  dans  cette  gloire;  que  les 
hommes  politiques  et  les  journalistes  ont  souvent  la  passion  du 
vrai  et  du  bien;  que  jamais  à  aucune  époque  les  Français  n'ont 
mieux  aimé  leurs  grands  hommes,  qu'ils  leur  rendent  justice  dès 
ce  monde  —  ce  qui  est  encore  la  meilleure  manière  —  que  nous 
avons  acclamé  la  fête  de  Victor  Hugo,  le  centenaire  de  Chevreul 
et  l'inauguration  de  l'Institut  Pasteur.  «  Quand  un  Français  dit 
du  mal  de  lui,  disait  un  jour  un  des  confrères  de  M.  Pasteur,  ne 
le  croyez  pas  :  il  se  vante.  »  A  l'inverse  d'une  phrase  célèbre  et 
pessimiste,  on  pourrait  dire  que,  dans  cette  souscription,  toutes 
les  vertus  se  perdent  dans  le  dévouement  comme  les  fleuves  se 
perdent  dans  la  mer. 

Que  d'exemples  je  pourrais  citer,  si  les  plus  généreux  dona- 
teurs n'avaient  demandé  que  l'on  no  prononçât  pas  leur  nom! 
Mais  si  je  ne  puis  parler  des  souscriptions  isolées,  vous  me  per- 


24  INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 

mettrez,  Messieurs,  de  rappeler  quelques  souscriplions  collectives, 
depuis  les  dotations  oiïerles  par  l'admirable  feslival  du  Trocadéro 
oii,  comme  le  disait  M.  Pasteur,  «  les  grands  charmeurs  de  l'hu- 
manité heureuse  apportèrent  leur  glorieux  concours  à  ceux  qui 
veulent  servir  l'humanité  souiïranle,  »  jusqu'aux  fêtes  de  petites 
villes  et  de  villages  où  l'on  se  cotisait  pour  offrir  «  le  cadeau  de 
la  misère  ».  Un  jour,  des  ouvriers  de  la  verrerie  d'Aumale  de- 
mandèrent au  poète  des  humbles,  àM.  François  Coppée,  des  vers 
pour  mieux  honorer  le  génie  de  M.  Pasteur  et  envelopper  leur 
obole.  En  les  envoyant  à  M.  Pasteur,  M.  Coppée  finissait  ainsi  : 

Ils  ont  le  compliment  rimé  qui  leur  manquait 
Et  peuvent  te  l'ofFrir,  Pasteur,  comme  un  bouquet 
Au  patron,  le  jour  de  sa  fête. 

Il  y  eut  une  souscription  plus  touchante  encore.  Ce  fut  celle 
de  43,000  francs  qu'apportèrent  les  Alsaciens-Lorrains.  C'est 
d'Alsace  qu'était  venu  le  petit  Joseph  Meister,  qui  fut  le  premier 
inoculé,  et  qui  est  resté  en  correspondance  avec  «  son  cher 
M.  Pasteur  »,  comme  il  l'appelle  toujours.  Ces  lettres  intimes, 
ces  pièces  à  l'appui,  je  les  ai  demandées  à  M.  Pasteur.  Mais  il 
n'a  pas  voulu  me  les  donner.  Jamais  rapporteur  n'a  été  moins 
secondé  que  moi.  Heureusement,  j'ai  les  chiffres  de  la  souscrip- 
tion. 

Elle  s'est  élevée  à  Fr.  2,586,680 

Dans  ce  chiffre,  il  faut  compren- 
dre les  200,000  francs  votés  par  les 
Chambres  et  le  don  offert  par  M.  le 
Président  du  Conseil. 

Les  dépenses  s'élèvent  à  ce 
jour,  à   1,223,786 

Nous  avons  encore  à  payer  aux  en- 
trepreneurs  240,000 

L'achat  des  instruments  des  labora- 
toires exig-era   100,000 

Les    dépenses    totales  s'élèveront 
^   1,563,786 

Ce  qui  laissera  un  solde  disponible, 
qui  formera  la  dotation  de  l'Institut  Pas-   


INAUGURyVnUN  DE  L'INSTITUT  PASTEUR.  23 

Si  on  veut  connaître  la  nature  de  ces  dépenses,  on  voit 
qu'elles  se  décomposent  ainsi  : 


Fr. 

Ul  ,475 

!J]7,r;77 

1 00,000 

Frais  de  circulaires,  imprimés,  bulletins 

de 

1 2,421 

Frais  d'actes  notariés  

41 G 

Entretien  des  laboratoires  pendant  trois  ; 

ans. 

91.897 

Total  

Fr. 

1,303,780 

On  remarquera  que   cette  souscription 

,  qui 

a  produit 

2,586,680  francs,  et  qui,  après  toutes  les  dépenses  payées,  laissera 
à  l'Institut  Pasteur  un  capital  disponible  de  1,022,894  francs, 
n'aura  coûté  que  12,421  francs  de  frais.  Si  je  ne  craignais  de 
commettre  une  indiscrétion,  je  rappellerais  que,  dans  une  séance 
du  comité,  M.  l'amiral  Jurien  de  la  Gravière,  dont  nous  regret- 
tons vivement  l'absence  dans  cette  fête,  avait  proposé  de  consa- 
crer une  somme  de  6,000  francs  à  la  publicité.  Mais  le  concours 
si  bienveillant  de  la  presse  nous  a  permis  d'économiser  celte 
somme. 

Il  me  reste,  Messieurs,  à  vous  faire  connaître  un  dernier 
donateur  qui  abandonne  à  l'Institut  les  bénéfices  de  la  vente,  en 
France,  des  vaccins  découverts  dans  le  laboratoire.  MM.  Cham- 
berland  et  Roux  ont  suivi  leur  maître  dans  sa  générosité.  Après 
avoir  provoqué  cette  grande  œuvre,  M.  Pasteur  aura  été  un  des 
plus  grands  souscripteurs. 

C'est  ainsi,  Monsieur  (car  mon  incompétence  scientifique 
bien  plus  encore  que  ma  modestie  naturelle  me  défend  de  vous 
dire  :  illustre  maître,  et  je  n'ose  d'autre  part,  usant  de  la  fami- 
liarité naïve  du  jeune  Meister,  vous  appeler:  mon  cher  monsieur 
Pasteur),  c'est  ainsi,  Monsieur,  que  la  générosité  publique,  le 
concours  du  gouvernement,  votre  désintéressement,  enfin,  ont 
fondé  et  consolidé  l'établissement  que  nous  inaugurons  aujour- 
d'hui. C'est  ainsi  qu'a  été  assuré  à  votre  œuvre  ce  pain  quotidien 
qui  fait  parfois  défaut  aux  plus  ardentes  prières  et  auquel  l'avenir 
ajoutera,  je  l'espère,  pour  ce  qui  vous  concerne,  les  douceurs 


26  INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTKUR. 

complémentaires,  presque  aussi  nécessaires  que  le  pain  de 
chaque  jour. 

La  sollicitude  publique  qui  a  entouré  cette  œuvre  à  son 
berceau  ne  lui  fera  pas  défaut.  L'élan  des  cœurs  généreux  ne 
s'est  pas  ralenti  :  demain  nous  apportera  ce  qui  fait  défaut 
aujourd'hui,  et  vos  collaborateurs,  vos  élèves  et  vos  successeurs 
pourront  poursuivre  avec  sécurité  et  avec  confiance  le  cours  de 
leurs  travaux. 

Certes,  c'est  pour  vous,  Monsieur,  un  bonheur  rare  et 
presque  inespéré.  Qu'il  vous  console  des  luttes  passionnées,  des 
émotions  poignantes,  des  crises  parfois  terribles  que  vous  avez 
traversées!  Quand  je  songe  à  ce  passé  si  plein  de  troubles  et  de 
dangers,  je  songe  aussi  malgré  moi  à  l'ironie  de  ces  phrases 
toutes  faites  qui  parlent  de  la  sérénité  de  la  science  et  de  la  paix 
deS' laboratoires. 

Mais  je  m'écarte,  Monsieur,  et  je  vous  en  demande  pardon, 
de  l'objet  précis  de  ma  mission.  C'est  votre  faute,  après  tout. 
Vous  nous  avez  mis  dans  la  maison.  Vous  avez  cru  obligeam- 
ment que  nous  serions  bons  à  quelque  chose,  ne  fût-ce  qu'à 
maintenir  l'ordre  dans  la  comptabilité,  la  régularité  dans  la 
gestion  de  ce  trésor  qui  était  bien  le  vôtre  et  avec  lequel  vous 
avez  constitué  une  puissante  réserve  pour  la  science,  en  vue  des 
découvertes  de  l'avenir.  Vous  ne  nous  avez  pas  défendu  d'ajouter 
au  zèle  que  vous  attendiez  de  nous  notre  respect  et  notre  affection. 
C'est  votre  faute,  encore  une  fois.  On  ne  peut  vous  entendre 
sans  vous  admirer.  On  ne  peut  vivre  à  côté  de  vous  sans  vous 
aimer. 


M.  Pasteur,  ne  pouvant  maîtriser  son  émotion,  dut  charger  son  fils 
de  lire  son  discours  : 

DISCOUnS  DE  M.  l'ASTEUrt. 

Monsieur  le  Président, 
Messieurs, 

Celui  qui,  dans  vingt  ans,  écrira  notre  histoire  contempo- 
raine et  recherchera  quelles  ont  été,  à  travers  les  luttes  des 


INAUGURATION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR.  27 

partis,  les  pensées  itilimes  de  la  France,  pourra  dire  avec  fierté 
qu'elle  a  placé  au  premier  rang  de  ses  préoccupalions  rensei- 
gnement à  tous  les  degrés.  Depuis  les  écoles  de  viilagejusqu'aux 
laboratoires  des  hautes  études,  tout  a  été  soit  fondé,  soit  renou- 
velé. Élève  ou  professeur,  chacun  a  eu  sa  part. 

Les  grands  maîtres  de  l'Université,  soutenus  par  les  pou- 
voirs publics,  ont  compris  que,  s'il  fallait  faire  couler  comme 
de  larges  fleuves  l'enseignement  primaire  et  l'enseignement 
secondaire,  il  fallait  aussi  s'inquiéter  des  sources,  c'est-à-dire 
de  l'enseignement  supérieur.  Ils  ont  fait  à  cet  enseignement  la 
place  qui  lui  est  due.  Une  telle  instruction  ne  sera  jamais  réser- 
vée qu'à  un  petit  nombre  ;  mais  c'est  de  ce  petit  nombre  et  de 
son  élite  que  dépendent  la  prospérité,  la  gloire  et,  en  dernière 
analyse,  la  suprématie  d'un  peuple. 

Voilà  ce  qui  sera  dit  et  ce  qui  fera  l'honneur  de  ceux  qui  ont 
provoqué  et  secondé  ce  grand  mouvement.  Pour  moi.  Messieurs, 
si  j'ai  eu  la  joie  d'aller,  dans  quelques-unes  de  mes  recherches, 
jusqu'à  la  connaissance  de  principes  que  le  temps  a  consacrés  et 
rendus  féconds,  c'est  que  rien  de  ce  qui  a  été  nécessaire  à  mes 
travaux  ne  m'a  été  refusé. 

Et  le  jour  011,  pressentant  l'avenir  qui  allait  s-'ouvrir  devant 
la  découverte  de  l'atténuation  des  virus,  je  me  suis  adressé  direc- 
lementà  mon  pays  pour  qu'il  nous  permît,  par  la  force  et  l'élan 
d'initiatives  privées,  d'élever  des  laboratoires  qui  non  seulement 
s'appliqueraient  à  la  méthode  de  prophylaxie  de  la  rage,  mais 
encore  à  l'étude  des  maladies  virulentes  et  contagieuses,  ce 
jour-là  la  France  nous  a  donné  à  pleines  mains 

Souscriptions  collectives,  libéralités  privées,  dons  magni- 
fiques dus  à  des  fortunes  qui  sèment  les  bienfaits  comme  le 
laboureur  sème  le  blé,  elle  a  tout  apporté,  jusqu'à  l'éparg-ne 
prélevée  par  l'oaviier  sur  le  salaire  de  sa  rude  journée. 

Pendant  que  se  faisait  cette  œuvre  de  concentration  fran- 
çaise, trois  souverains  nous  donnaient  un  lémoignag'e  de  sym- 
pathie effective.  Sa  Majesté  le  sultan  voulait  être  un  de  nos 
souscripteurs  ;  l'empereur  du  Brésil,  cet  empereur  homme  de 
science,  inscrivait  son  nom  avec  la  joie  d'un  confrère,  disait-il, 
et  le  tsar  saluait  le  retour  des  Russes  que  nous  avions  traités 
par  un  don  vraiment  impérial. 

Devant  les  médecins  russes  qui  travailleront  dans  nos  labo- 


28  INAUGURATJON  Dli  L'INSTITI  T  l>ASTliL'll. 

raloiresetsont  déjà  présents  parmi  nous,  j'adresse  au  Isar  l'hom- 
mage de  noire  respectueuse  gratitude. 

Comment  toutes  ces  sommes  ont  été  centralisées  au  Crédit 
Foncier  de  France  et  l'usage  qui  en  a  été  fait,  vous  venez  de  l'ap- 
prendre, Messieurs.  Mais  ce  que  M.  Christophle  ne  vous  a  pas 
dit,  c'est  avec  quel  souci  il  a  géré  ce  bien  national. 

Avant  la  pose  delà  première  pierre,  le  comité  de  patronage 
de  la  souscription  a  décidé,  malgré  moi,  que  cet  Institut  porte- 
rait mon  nom.  Mes  objections  persistent  contre  un  titre  qui 
réserve  à  un  homme  l'hommage  dû  à  une  doctrine.  Mais,  si  je 
suis  troublé  par  un  tel  excès  d'honneur,  ma  reconnaissance 
n'en  est  que  plus  vive  et  plus  profonde.  Jamais  un  Français 
s'adressant  à  d'autres  Français  n'aura  été  plus  ému  que  je  ne  le 
suis  en  ce  moment. 

La  voilà  donc  bâtie,  cette  grande  maison  dont  on  pourrait 
dire  qu'il  n'y  a  pas  une  pierre  qui  ne  soit  le  signe  matériel  d'une 
généreuse  pensée.  Toutes  les  vertus  se  sont  cotisées  pour  élever 
cette  demeure  du  travail. 

Hélas  !  j'ai  la  poignante  mélancolie  d'y  entrer  comme  un 
homme  «  vaincu  du  temps  »,  qui  n'a  plus  autour  de  lui  aucun 
de  ses  maîtres,  ni  même  aucun  de  ses  compagnons  de  lutte,  ni 
Dumas,  ni  Bouley,  ni  Paul  Bert,  ni  Vulpian  qui,  après  avoir  été 
avec  vous,  mon  cher  Grancher,  le  conseiller  de  la  première 
heure,  a  été  le  défenseur  le  plus  convaincu  et  le  plus  énergique 
de  la  méthode  ! 

Toutefois,  si  j'ai  la  douleur  de  me  dire  :  Ils  ne  sont  plus, 
après  avoir  pris  vaillamment  leur  part  des  discussions  que  je 
n'ai  jamais  provoquées,  mais  que  j'ai  dù  subir;  s'ils  ne  peuvent 
m'entendre  proclamer  ce  que  je  dois  à  leurs  conseils  et  à  leur 
appui;  si  je  me  sens  aussi  triste  de  leur  absence  qu'au  lende- 
main de  leur  mort,  j'ai  du  moins  la  consolation  de  penser  que 
tout  ce  que  nous  avons  défendu  ensemble  ne  périra  pas. 

Notre  foi  scientilique,  les  collaborateurs  et  les  disciples 
qui  sont  ici  la  partagent. 

Le  service  du  traitement  de  la  rage  sera  dirigé  par  M.  le  pro- 
fesseur Grancher,  avec  la  collaboration  des  docteurs  Chante- 
messe,  Charrin  et  Terrillon. 

M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  a  autorisé  M.  l)u- 
claux,  le  plus  ancien  de  mes  élèves  et  collaborateurs,  aujourd'hui 


INAUlUjUATION  DE  L'INSTITUT  l'ASTEUR.  29 

professeur  h  la  Faculté  dos  sciences,  à  transporter  ici  le  cours 
de  chimie  bioloi^ique  qu'il  fait  à  la  Sorbonne.  Il  dirigera  le  labo- 
ratoire de  microbie  générale. 

M.  Chamberland  sera  chargé  de  la  microbie  dans  ses  rap- 
ports avec  l'hygiène  ;M.  le  docteur  Roux  enseignera  les  méthodes 
microbiennes  dans  leurs  applications  à  la  médecine.  Deux  savants 
russes,  les  docteurs  Metchnikoff  et  Gamaleïa,  veulent  bien  nous 
prêter  leur  concours.  La  morphologie  des  organismes  inférieurs 
et  la  microbie  comparée  seront  de  leur  domaine. 

Vous  connaissez,  Messieurs,  les  espérances  que  nous  don- 
nent les  travaux  du  docteur  Gamaleïa.  C'est  à  dessein  que  je  me 
sers  du  mot  espérances.  L'application  à  l'homme  est  loin  d'être 
faite  en  ce  moment;  mais  la  plus  rude  étape  est  franchie. 

Constitué  comme  je  viens  de  le  dire,  notre  Institut  sera  à 
la  fois  im  dispensaire  pour  le  traitement  de  la  rage,  un  centre  de 
recherches  pour  les  maladies  infectieuses  et  un  centre  d'ensei- 
gnement pour  les  études  qui  relèvent  de  la  microbie.  Née  d'hier, 
mais  née  tout  armée,  cette  science  puise  une  telle  force  dans  ses 
victoires  récentes  qu'elle  entraîne  tous  les  esprits. 

Cet  enthousiasme  que  vous  avez  eu  dès  la  première  heure, 
gardez-le,  mes  chers  collaborateurs,  mais  donnez-lui  pour  com- 
pagnon inséparable  un  sévère  contrôle.  N'avancez  rien  qui  ne 
puisse  être  prouvé  d'une  façon  simple  et  décisive. 

Ayez  le  culte  de  l'esprit  critique.  Réduit  à  lui  seul,  il  n'est 
ni  un  éveilleur  d'idées,  ni  un  stimulant  de  grandes  choses.  Sans 
lui,  tout  est  caduc.  Il  a  toujours  le  dernier  mot.  Ce  que  je  vous 
demande  là  et  ce  que  vous  demanderez  à  votre  tour  aux  disciples 
que  vous  formerez,  est  ce  qu'il  y  a  de  plus  difficile  à  l'inventeur. 

Croire  que  l'on  a  trouvé  un  fait  scientifique  important, 
avoir  la  fièvre  de  l'annoncer,  et  se  contraindre  des  journées,  des 
semaines,  parfois  des  années  à  se  combattre  soi-même,  à  s'ef- 
forcer de  ruiner  ses  propres  expériences,  et  ne  proclamer  sa 
découverte  que  lorsqu'on  a  épuisé  toutes  les  hypothèses  con- 
traires, oui,  c'est  une  tâche  ardue. 

Mais  quand,  après  tant  d'efforts,  on  est  enfin  arrivé  à  la 
certitude,  on  éprouve  une  des  plus  grandes  joies  que  puisse  res- 
sentir l'âme  humaine,  et  la  pensée  que  l'on  contribuera  à  l'hon- 
neur de  son  pays  rend  cette  joie  plus  profonde  encore. 

Si  la  science  n'a  pas  de  patrie,  l'homme  de  science  doit  en 


30  INAIKIURAÏION  DE  L'INSTITUT  PASTEUR. 

avoir  une,  et  c'est  à  elle  qu'il  doit  reporter  rinduence  que  ses 
Li-avaux  peuvent  avoir  dans  le  monde. 

S'il  m'était  permis,  Monsieur  le  Président,  de  terminer  par 
une  réflexion  philosophique  provoquée  en  moi  par  votre  présence 
dans  cette  salle  de  travail,  je  dirais  que  deux  lois  contraires 
semblent  aujourd'hui  en  lutte  :  une  loi  de  sang  et  de  mort  qui, 
en  imaginant  chaque  jour  de  nouveaux  moyens  de  combats, 
oblige  les  peuples  à  être  toujours  prêts  pour  le  champ  de  bataille, 
et  une  loi  de  paix,  de  travail,  de  salut,  qui  ne  songe  qu'à  déli- 
vrer l'homme  des  fléaux  qui  l'assiègent. 

L'une  ne  cherche  que  les  conquêtes  violentes,  l'autre  que 
le  soulagement  de  l'humanité.  Celle-ci  met  une  vie  humaine  au- 
dessus  de  toutes  les  victoires  ;  celle-là  sacrifierait  des  centaines 
de  mille  existences  à  l'ambition  d'un  seul. 

La  loi  dont  nous  sommes  les  instruments  cherche  même  à 
travers  le  carnage  à  guérir  les  maux  sanglants  de  cette  loi  de 
guerre.  Les  pansements  inspirés  par  nos  méthodes  antiseptiques 
peuvent  préserver  des  milliers  de  soldats. 

Laquelle  de  ces  dei^x  lois  l'emportera  sur  l'autre  ?  Dieu 
seul  le  sait.  Mais  ce  que  nous  pouvons  assurer,  c'est  que  la 
science  française  se  sera  efforcée,  en  obéissant  à  cette  loi  d'hu- 
manité, de  reculer  les  frontières  de  la  vie. 

Les  applaudissements,  qui  avaient  éclaté  à  chaque  paragraphe  de 
ce  discours,  reprirent  enthousiastes,  à  cette  dernière  page.  Dans  cette 
assemblée  composée  d'éléments  si  divers,  il  n'y  eut  plus  qu'une  âme 
commune,  l'âme  de  tout  un  peuple  qui  vibrait  avec  l'âme  de  cet 
homme  de  labeur,  de  patriotisme  et  d'humanité.  Ce  fut  une  minute 
inoubliable  d'émotion  haute  et  généreuse. 

M.  le  Président  de  la  République,  après  avoir  serré  la  main  de 
M.  Pasteur,  se  leva  et  dit  : 

«  M.  Pasteur  n'a  voulu  d'autre  récompense  que  celle  que  nous 
pouvons  donner  à  ses  collaborateurs  :  M.  GrancberetM.  Duclauxsont 
nommés  officiers  de  la  Légion  d'honneur,  M.  Chantemesse  est  nommé 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur.  Les  palmes  d'officier  d'Académie 
sont  décernées  à  M.  Brébant,  architecte  de  l'Institut  Pasteur.  • 


APPENDICE 


Dans  les  journées  des  13,  14  et  io  novomhro,  M.  Pasloiir  a  reçu  de  l'é- 
Iranger  un  grand  nombre  de  lélégramnies  de  fclicilalions,  justifiant  une 
fois  de  plus  la  pensée  rappelée  dans  son  discours  que  la  science  n'a  pas  de 
pairie. 

Profondément  louche  des  vœux  formés  pour  sa  personne  et  la  prospérité 
de  l'établissement  qui  vient  d'être  inauguré,  M.  Pasteur  prie  les  sociétés 
savantes  et  les  personnes  dont  les  noms  suivent  de  vouloir  bien  agréer  ici 
l'expression  de  sa  vive  reconnaissance  : 

La  Société  entoniologique  du  midi  de  la  Russie,  à  Odessa; 

La  Société  impériale  des  Amis  de  la  nature,  à  Moscou; 

La  Société  des  naturalistes  d'Odessa; 

La  Station  bactériologique  d'Odessa; 

L'Académie  impériale  de  médecine  de  Saint-Pétersbourg; 

La  Société  de  médecine  d'Odessa; 

Les  médecins  de  l'hôpital  de  la  ville  d'Odessa; 

La  Société  des  pharmaciens  d'Odessa; 

La  Régence  provinciale  de  Bessarabie  ; 

Le  Comité  des  Congrès  des  médecins  russes,  à  Saint-Pétersbourg; 

Les  étudiants  de  l'Université  d'Odessa; 

Le  Conseil  médical  russe,  à  Saint-Pétersbourg; 

La  Conférence  des  médecins  de  l'hôpital  militaire  de  Moscou; 

La  Société  de  chirurgie  de  Moscou; 

Le  Congrès  des  médecins  et  des  représentants  du  gouvernement  de 
Cherson; 

La  Société  des  médecins  praticiens  de  Saint-Pétersbourg; 
La  Société  des  sciences  médicales  de  Lisbonne: 

S.  A.  le  prince  Alexandre  d'Oldenbourg,  en  son  nom  et  au  nom  de  la 
Station  antirabique  de  Saint-Pétersbourg; 
Le  professeur  ProtopopofT,  de  KarkolF; 
Le  professeur  Hueppe,  de  Wiesbaden; 
Le  professeur  sir  James  Paget,  de  Londres; 
Le  professeur  Poehl,  de  Saint-Pétersbourg; 

Le  directeur  du  journal  de  la  Société  agricole  impériale  d'Odessa; 
Le  professeur  Gantani,  de  Naples; 
La  famille  de  Herz,  de  Bucarest; 
Ea  famille  Retzius,  de  Stockholm; 

José  Julio  Rodriguez,  de  l'École  polytechnique  de  Lisbonne; 

Le  docteur  E.  Ullmann,  de  Vienne; 

Le  professeur  Anrep,  de  Saint-Pétersbourg; 

Le  docteur  Burnay,  de  Lisbonne... 


SCEAUX.  —  IMPIUMERIE:  CHAnAIRE.